Séminaire linguistique 2022
Mardi 20 septembre 2022, 15h 00 – 17h 00, amphithéâtre MSH
Séance inaugurale du séminaire (pas de conférence)
Samir Bajrić, université de Bourgogne
Mardi 27 septembre 2022, 15h 00 – 17h 00, amphithéâtre MSH
Le micro-système temporel en français oral contemporain
Thierry Ponchon, université de Reims Champagne-Ardenne
Résumé
De prime abord, la syntaxe du français parlé se différencie de celle du français écrit par la brièveté des phrases et la simplicité de leur structure. La situation de l’énonciation immédiate, de dialogue notamment, par rapport à l’énonciation médiate dans la linéarité de l’expression écrite, entraîne des ruptures, des reprises, des amendements, des répétitions, des suspensions et s’accompagne souvent de gestes. Le discours parlé se présente donc comme une association de phrases correctes selon la norme grammaticale absolue et de bouts de phrases, de faux départs, de syntagmes et de mots fragmentaires ou isolés, comme dans cet exemple du corpus Elicop :
« eh bien c’est après que je suis venu ici à Gerzat après cette guerre n’est-ce pas je suis venu pour moi aussi personnellement euh j’ai passé les mei la meilleure partie de ma jeunesse euh à la guerre n’est-ce pas. » (http://bach>. arts.kuleuven.ac.be/lancom/abstract.htm)
Cet extrait montre que le tissu textuel est approximatif et contraire à ce qui est attendu de la forme écrite. Dans la mesure où ces caractéristiques du français parlé apparaissent dans nombre de couches sociales, elles peuvent être considérées comme spécifiques de ce registre. Et tout échantillon suffisamment étendu montre clairement l’importance cruciale des marques de structuration.
Plusieurs phénomènes syntaxiques typiques du français parlé sont ainsi aisément décelables : les répétitions, les ruptures de phrases, les suppressions, les faux départs, l’emploi des différentes formes présentatives, l’usage de la thématisation, les spécificités de l’interrogation intonative et la prédominance de la parataxe.
Ce sont ces différentes spécificités qui seront envisagées dans cette communication.
Mardi 4 octobre 2022, 15h 00 – 17h 00, amphithéâtre MSH
La linguistique théorique au regard de la linguistique appliquée
Pierre-André Buvet, université Sorbonne Paris Nord
Résumé
Notre exposé portera sur les interactions entre linguistique théorique et linguistique appliquée. Nous défendrons la thèse selon laquelle la linguistique appliquée sert de cadre expérimental à la linguistique théorique. Nous présenterons un modèle linguistique et des applications directement issues de cette modélisation. Nous discuterons ensuite des conséquences théoriques de la mise en œuvre de ces applications.
Mardi 11 octobre 2022, 15h 00 – 17h 00, amphithéâtre MSH
Isabelle Monin, université de Reims Champagne-Ardenne
« LE CONSEIL DE CLASSE LE/LA FÉLICITE »
L'UBIQUITÉ ÉNONCIATIVE DE LA TROISIÈME PERSONNE DANS LES BULLETINS SCOLAIRES
Résumé :
Que ce soit pour distribuer accessits ou mises en garde, éloges, remontrances ou conseils, les enseignants usent avec une relative solennité de la troisième personne dans les bulletins scolaires. Particulièrement dotée de souplesse morphologique et référentielle, elle est susceptible de renvoyer à toutes les places d'interlocution, un phénomène lié notamment aux spécificités énonciatives de ce genre de discours.
Sujet énonciatif, sujet syntaxique et/ou sujet délocuté, nous en observerons les manifestations visibles et invisibles dans une sélection d'occurrences issues d’extraits de Livrets scolaires uniques (LSU), du Cycle 1 au Lycée. En effet, cette troisième personne est capable d’y revêtir différentes formes : prénom, pronoms (personnel et relatif), groupe nominal (allusif, individuel ou collectif), description définie autonyme et même ellipse, elle est utilisée par les énonciateurs enseignants pour désigner n’importe quel référent concerné de près ou de loin par l’énoncé.
En conséquence, nous questionnerons la valeur communicationnelle de ces choix lexicaux et syntaxiques, à partir de la relation entre les places d’interlocution et les positions énonciatives (Saunier 1998) dans ce contexte, et son incidence sur la portée pragmatique de nos énoncés. Plus précisément, au vu du schéma énonciatif du bulletin scolaire et de son rôle, si le concept exclusif de non-personne (Benveniste 1966/1974) semble ici un leurre – en ce que l’utilisation de la troisième personne ne peut exclure son référent des destinataires directs de ces écrits – elle met à mal les possibilités d’intersubjectivité, d’une part, et d’autre part fonctionne comme un “masque discursif” (Riedinger 2021) lorsque l’énonciateur en use pour se désigner lui-même.
Mardi 18 octobre 2022, 15h 00 – 17h 00, amphithéâtre MSH
Damien Deias, université de Lorraine
Résumé :
Le 5 janvier dernier, tous les grands titres de la presse nationale française relayaient un segment de discours extrait d’un entretien qu’Emmanuel Macron avait donné la veille au Parisien : « Eh bien, là, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc, on va continuer de le faire, jusqu’au bout. ». L’énoncé était alors qualifié de « petite phrase », dénomination discursive forgée par les professionnels de la communication et les journalistes, et aujourd’hui connue et reconnue par le plus grand nombre. La circulation de cet énoncé est emblématique de ce que Maingueneau nomme la « panaphorisation », la saturation provisoire de l’espace médiatique par un événement de discours, qui s’accompagne d’une polémique sur la justification et le bien-fondé de sa production.
Ce phénomène médiatico-discursif est pourtant complexe. Fruit d’une co-construction verticale entre des acteurs politiques et des journalistes, le détachement de ces énoncés s’opère selon des critères qui constituent un contrat de communication implicite. Leur mise en circulation implique des réarrangements selon les genres de discours où ils sont insérés – troncations, reformulations partielles… - de sorte qu’une « petite phrase » correspond bien souvent à un ensemble de formulations, à l’instar des formules (Krieg-Planque). Enfin, objet de contre-discours et de parodies, la dénomination « petite phrase », catégorie dépréciée, caractérise souvent le discours de l’autre, celui de l’adversaire.
Au terme de cette réflexion, nous nous essayerons donc à répondre à la question posée par le titre : fallait-il vraiment prononcer cet énoncé et le verbe « emmerder », qui a résonné aux oreilles de nombreux destinataires comme un performatif ?
Mardi 25 octobre 2022, 15h 00 – 17h 00, amphithéâtre MSH
Mary Bouley, université de Bourgogne
Résumé :
The vision of a lingua franca: the yearning goes back at least as far as Condorcet’s eighteenth-century dream of a universal language. Few would deny that in today’s internet- and social media-saturated world, that language is English.
Yet English is most certainly not that universal language permitting “equal knowledge of necessary truths” envisioned by Condorcet. It is a language colored by the colonial past of the British Empire and the present-day economic, military and cultural power (some would use the term “imperialism”) of the United States, two influential nations in which the language is spoken. How one tallies the costs and benefits of English as the world’s dominant lingua franca will depend, in part, on how one looks at language: as a tool for international and intercultural communication, as a marker of identity, as an instrument of power, a tool for democracy, a commodity on the professional and cultural market, a human achievement.
It is in this complex context that my remarks take root, and more specifically in the environment of education in France, a country resolute in its protection of the national language. What empowerment is offered by the international adoption of English as a shared language? What risks for national, local and regional languages and for the speakers of those languages? How does the neoliberal reframing of educational objectives toward a market model in higher education influence our teaching (specifically the teaching of language and teaching in the English medium) and thus our students’ learning? What, in addition, are the dangers posed by the global spread of English for native speakers of the language?
I will explore these questions through the prism that is mine: a native speaker of American English, a longtime educator in France at various levels and contexts of instruction and, more recently, the director of the Language Center at the University of Burgundy. My exploration will be experience-based, necessarily narrow-angled and anecdotal but, I hope, enlightening in its way.
Mardi 8 novembre 2022, 15h 00 – 17h 00, amphithéâtre MSH
Jean-Léo Léonard, université Paul Valéry Montpellier 3
Résumé :
1. Ligne de mire
(en lieu et place »objectif ») : revisiter et infirmer quelques mythes (ou mythèmes), en dialectologie d’oïl
Mythème 1 ( les dialectes seraient statiques, hérités du Moyen âge ou de la période du Moyen français, périodes « formatives »
Mythème 2 ( les dialectes d’oïl n’auraient été que ruraux des sociolectes rustiques Ils auraient été peu pratiqués dans les villes, voire même dans les bourgs Villes et bourgs ne pouvaient être qualifiés de « centres directeurs » town dialects
Mythème 3 continuisme ou la « tapisserie » de Gaston Paris) les dialectes d’oïl se fondent en un continuum de fin dégradé, les dialectes n’existent pas vraiment Faux, ou du moins trop vague et empiriquement non ancré (aucune contextualisation externe derrière cette assertion) Notre étude de cas maraîchine montre le grain fin de l’interactionnisme entre sous dialectes à part entière au sein de diasystèmes (et non de simples points ou pointillés d’un continuum impressionniste)
Objectif de la déconstruction de ces mythèmes contribuer à une dialectologie générale, en synergie avec la linguistique théorique et descriptive, notamment avec la typologie linguistique, mais de manière « non essentialiste»
Ces mythèmes sont des apories ; ils bloquent la réflexion en dialectologie générale
Mardi 15 novembre 2022, 15h 00 – 17h 00, amphithéâtre MSH
La langue populaire au début du XXe siècle : les représentations à l'épreuve de l'archive
Agnès Steuckardt, université Paul Valéry Montpellier 3
Résumé :
Les représentations d’une langue du peuple occupent, à partir du milieu du XIXe siècle, une place grandissante dans la littérature, que ce soit dans les romans, d’Eugène Sue à Victor Hugo, ou dans les chansons, d’Aristide Bruant à Jean Richepin. Quand commence la Grande Guerre, les journaux se passionnent pour l’« argot des tranchées », bientôt étudié par les philologues. Dans quelle mesure cette « langue populaire », représentée et décrite, correspond-elle aux pratiques linguistiques réelles des classes populaires ? Si leur parole vive ne nous est pas accessible, les archives collectées pendant le Centenaire de la Grande Guerre permettent aujourd’hui de mieux connaître leur pratique linguistique écrite et de confronter une langue populaire construite par les lettrés avec des usages attestés chez les moins lettrés. C’est à cette confrontation, menée sur la base des archives collectées dans Corpus 14 (https://www.univ-montp3.fr/corpus14/), qu’invite cette conférence.
Mardi 22 novembre 2022, 15h 00 – 17h 00, amphithéâtre MSH
Analyser les textes philosophiques aujourd’hui
Malika Temmar, université de Picardie Jules Verne
Résumé :
L’analyse du discours est un domaine de recherche bien connu aujourd’hui en France. Après avoir rappelé ses fondements et ses principes, il s’agira ici de se saisir d’un exemple de terrain d’investigation de ce champ, celui de la philosophie. Cette communication cherchera à mettre en valeur la façon dont on peut se saisir des outils d’analyse du discours pour aborder ce type de texte particulier. Les approches énonciatives et pragmatiques seront privilégiées pour analyser les formes expressives de ce genre de discours. Notre présentation mettra en valeur les différents genres et les supports sur lesquels on trouve le discours philosophique, outre les textes sources doctrinaux, il s’agira également d’interroger les nouvelles formes de diffusion de la philosophie dans les médias français.
Mardi 29 novembre 2022, 15h 00 – 17h 00, amphithéâtre MSH
La linguistique textuelle française et l'héritage de l'École de Prague au XXI° siècle
Guy Achard Bayle, université de Lorraine
Résumé :
Pour dérouler la chronologie et justifier la continuité épistémologique annoncées ou impliquées par notre titre, notre exposé suivra trois étapes :
Dans un premier temps, nous reviendrons sur les fondements du Cercle linguistique de Prague (CLP), en suivant ses textes fondateurs de 1929 (https://cercledeprague.org/pdf/theses.pdf), et en mettant l’accent sur leur orientation fonctionnaliste (et pas seulement structuraliste) ; cette orientation fonctionnaliste préfigure avec plusieurs décennies d’avance, l’évolution de la linguistique disons classique ou « traditionnelle » vers les « sciences du langage », autrement dit, pour ce qui nous concerne, la « linguistique des textes et des discours ».
Dans un deuxième temps, nous verrons comment la « seconde École de Prague », qui a mis elle l’accent sur la « syntaxe fonctionnelle », a permis dans les années 70 l’éclosion de théories linguistiques aussi diverses, mais complémentaires en termes de cohésion-cohérence macrosyntaxique ou transphrastique, que celles de Halliday & Hasan en Angleterre, ou Combettes et Adam en France ou en Suisse… Entre autres, tant les travaux néo-pragois sur l’actualisation informationnelle de la phrase, ou encore les progressions thématiques, ont eu d’écho, dans toute l’Europe centrale, mais encore en Scandinavie, en Italie, en Espagne…
Dans un troisième temps, nous verrons, sur la base de nos propres travaux, menés pour la plupart en collaboration avec le Pr Ondřej Pešek, franco-romaniste membre du CLP, comment se développe aujourd’hui une linguistique des niveaux « mésotextuels » : le récent ouvrage d’Adam sur le paragraphe en est une des plus fortes illustrations et des plus riches explorations. Avec le Pr Pešek, nous avons également exploré l’organisation informationnelle des paragraphes, mais aussi celle qui se situe, disons, au-dessus, entre paragraphes (https://journals.openedition.org/discours/10799) ; et nous nous tournons aujourd’hui vers l’étude de celle des autres niveaux « méso », comme la période et la séquence.
Mardi 6 décembre 2022, 15h 00 – 17h 00, salle des séminaires MSH
Donner un ordre dans l’espace public
Mustapha Krazem, université de Lorraine
Résumé :
L’injonction consiste à ce qu’un locuteur A pose un acte de langage visant à ce que le destinateur B exécute le procès voulu par le locuteur A.
Révise ton cours de linguistique avant de dîner !
La langue dispose de multiples moyens pour réaliser une injonction. Il est même des moyens non linguistiques de réaliser cet acte (par exemple le panneau « sens interdit ».
On s’intéressera à la façon dont l’injonction est réalisée dans l’espace public en se limitant aux formes linguistiques exemplifiées ci-dessous :
Je garde deux mètres de distance pour protéger les autres
Gardez deux mètres de distance pour protéger les autres
Gardons deux mètres de distance pour protéger les autres
Garder deux mètres de distance pour protéger les autres
. On montrera l’évolution de l’emploi de ces formes depuis une vingtaine d’années, les formes en JE tendant à envahir l’espace public au détriment de l’impératif de deuxième personne. On tentera d’en comprendre les raisons sociologiques tout en montrant que potentiellement toutes les formes ci-dessus étaient prêtes à mettre en valeur des propriétés qui leur sont inhérentes même si elles étaient moins sollicitées auparavant.
Mardi 13 décembre 2022, 15h 00 – 17h 00, salle des séminaires MSH
« Parce qu'euh... j'ai connu un mec qui est un homme averti qu'en vaut deux. Eh ben... » (Coluche)
Samir Bajrić, université de Bourgogne
« L’article prend valeur relativement à un problème qui n’existe pas seulement pour l’esprit d’un peuple, mais universellement pour l’esprit humain, par le fait même du langage. Ce problème date du jour où un esprit d’homme a senti qu’une différence existe entre le nom avant emploi, simple puissance de nommer des choses diverses et diversement concevables, et le nom qui nomme en effet une ou plusieurs de ces choses. Il s’est posé avec plus de force, à mesure que ce sentiment devenait plus net, et il a été résolu [...] par l’invention de relations systématiques entre le nom virtuel et le nom réel. Les articles sont, dans la langue, le signe apparent de ces relations ».[1]
La linguistique française (en France et ailleurs) dispose d’un nombre difficilement calculable de travaux portant sur la catégorie grammaticale nommée article. Parmi ces travaux, nombreux sont ceux dont le modèle interprétatif concerne, de près ou de loin, les principes de systématique du langage, courant linguistique fondé par le linguiste français Gustave Guillaume. En publiant son excellent ouvrage Le Problème de l’article et sa solution dans la langue française, en 1919, Guillaume a ouvert une très longue série de recherches extrêmement fécondes en la matière. L’on ne compte plus les travaux dans lesquels Guillaume et les guillaumiens fournissent les bases explicatives à propos des articles français un et le.
Cette conférence mettra l’accent uniquement sur l’article un, communément appelé article indéfini, et qui tire son origine, semble-t-il, de la catégorie du nombre, en français et dans les autres langues concernées.[2] On s’aperçoit que, lors du passage de l’idéogenèse à la morphogenèse, l’esprit du locuteur fonde l’apport notionnel sélectionné (extensité) alternativement dans une valeur d’article ou / et dans une valeur de numéral. Cette discontinuité catégorielle est de nature à créer des ambiguïtés d’interprétation et des saisies médianes ou bi-tensorielles :
- Quand il y a un doute, c’est qu’il n’y a pas de doute (à partir de l’anglais : Whenever there is any doubt, there is no doubt)
- Une fois, on était au restaurant…
- (en temps de paix) : J’ai tué un - Quoi ?! Quel homme ? / Un seul homme ?
- (en temps de paix) : J’ai tué des - Quoi ?! Quels hommes ? / Combien d’hommes ?
- (en temps de guerre) : J’ai tué un homme = « un seul / 1 homme »
- ça marche moins bien avec : Chéri, j’ai un amant…
[1] Guillaume G., Le Problème de l’article et sa solution dans la langue française, Paris, Hachette, 1919, p. 21-22.
[2] À titre de rappel, la partie de langue nommée article n’est pas partie intégrante des universaux du langage. En effet, nombre de langues ignorent cette catégorie.