AADA Khalid
Thèmes de recherche : Narratologie, Inscription corporelle, Cinéma, Diaspora africaine, Littérature, Cosmopolite enraciné
Résumé : La thèse se focalisera sur l'étude de la manière dont la narratologie et les inscriptions corporelles sont déployées pour donner forme aux différents récits dans le contexte francophone. Cela permettrait d'examiner la manière dont les chanteurs, ou les écrivains ou les cinéastes utilisent divers techniques pour raconter leurs histoires, ainsi que celles de leurs communauté, tout en abordant des questions cruciales liées à la diversité culturelle. En nous appuyant sur les outils théoriques de la narratologie et de l'inscription corporelle, nous analyserons comment les récits se construisent un espace essentiel d'inscription et de représentation de différentes expériences complexes. Nous examinons premièrement la voix narrative et nous la contrastons avec l'approche qui met en avant la notion du réalisme ou du naturalisme, où l'objectif est de capturer la vie telle qu'elle se déroule réellement, sans artifice. Cela peut signifier que les personnages et les événements sont présentés de manière à être reconnaissables et compréhensibles dans le contexte de la société et de l'espace social dans lesquels ils évoluent. Ensuite, chaque écriture est liée au corps. Pas de texte sans corps (Oberhuber, 2013 :5) Même si une personne n'écrit pas au sujet de son corps, elle s'y réfère inconsciemment. Le dialogue entre l'auteur (e) et son texte prend forme à travers sa chair intime et sensorielle, et par le biais des figurations culturelles du corps en société (Bazié, 2005). Au cinéma par exemple, il ne s'agit pas simplement de jouer un rôle, c'est-à-dire de créer une représentation fictive ou exagérée, mais plutôt de la représenter fidèlement. Cela signifie que dans cette approche artistique ou littéraire, les corps humains et leurs actions ne sont pas exagérés ou distordus dans un but dramatique ou théâtrale. Au lieu de cela, ils sont représentés de manière à s'ancrer dans le quotidien, à refléter la vie telle qu'elle est réellement vécue. Par exemple : Dans une culture du non-dit, le corps n'est que plus signifiant : geste, regard, silence gagnent en force évocatrice. Comment oublier le regard silencieux des femmes touareg de Waati dont seules les mains bougent pour chasser les mouches ? Les échanges de salutations rituelles prennent leur importance : choix des formules, ton de la voix, position du corps et regards exprimeront ce que l'échange ne dit pas. Chez les jeunes cinéastes, on retrouve cette capacité à exprimer sans dialogues l'intensité du corps. Dans Temedy, un film sur le sida, le Guinéen Gahité Fofana sait cadrer Mouna pour la laisser parler de sa maladie avec son visage, ses gestes, ses attitudes [
] (Barlet, Olivier Le corps profond des cinémas d'Afrique, dans Africultures, les mondes en relation, 1999) D'autre part, l'inscription du corps nous amène à examiner différents concepts tels que la réappropriation. Dans ce sens, la nécessité historique de se réapproprier son identité, qui est devenue cruciale après la période de la colonisation, demeure tout aussi pertinente de nos jours. En réponse au racisme, aux stéréotypes exotiques et à la persistance de l'héritage colonial dans la représentation des personnes noires, il est plus important que jamais de renverser le regard de l'Autre. Frantz Fanon en avait fait une description « Ce masque blanc sur la peau noire, ce racisme qui dépersonnalise en enlevant toute reconnaissance se résume à un regard sur la peau, au sens où le racisme est finalement le déni du désir que ressent le Blanc pour le Noir » (cf le film d'Isaac Julien sur Fanon, Africultures no13) Barlet nous donne un autre exemple du concept de l'inscription corporelle qui celui du corps dansant. Autrement dit, on ne danse pas par exemple dans les films parce qu'on a le rythme dans la peau, mais pour revendiquer une dignité. Barlet souligne que le corps dansant est comme le corps riant l'affirmation d'une indocilité (pour reprendre l'expression d'Achile Mbembe), d'une différence, d'une indiscipline éminement subversive : « ma danse et mon rire, dynamite délirante, t'éclateront comme des bombes » écrivait Léoplod Sédar Senghor. Cette inscription corporelle soulève aussi d'autres concepts tels que l'oralité ; le corps souffrant/corps résistant ; le corps sensuel, etc. pour enrichir l'analyse de notre propos, qui réunit une sélection d'uvres emblématiques de la diaspora francophone, mettant en lumière des créateurs issus d'horizons variés. Ces uvres nous permettront d'explorer plusieurs questions clés telles que: 1. Comment la narratologie intervient-elle dans la construction des différents récits de la diaspora francophone ? Nous analyserons des structures narratives, des techniques de narration et des dispositifs stylistiques utilisées pour donner vie à ces récits. 2. En quoi l'inscription corporelle devient-elle un moyen puissant de signification et de représentation des expériences de la diaspora ? Nous étudierons comment les artistes incorporent les éléments corporels dans leurs créations pour exprimer les identités multiples et les histoires personnelles. 3. Quels sont les points de convergence et de divergence entre ces médias dans leur traitement de la diaspora ? Nous comparerons et analyserons comment la littérature ou le cinéma ou la musique (rap comme exemple) capturent les diversités et les complexités de la diaspora. Un autre concept se révèle, celui de la dialectique des identités. D'ailleurs dans la lecture de Fanon de son livre : Peau noire, maques blancs, par Homi Bhabha, la dialectique des identités, telle qu'elle est conceptualisée, prend une nouvelle signification dans le contexte de la diaspora. Alors que la dialectique hégélienne oppose deux identités opposées, le maître et l'esclave, en vue d'une réconciliation finale et d'une transformation complète de l'homme, la dialectique proposée par Fanon et interprétée par Bhabha, introduit une nuance cruciale. Elle suggère que les identités ne sont pas figées en opposition binaire, mais plutôt fluides, hybrides et en constante évolution. Nous voulons examiner cette perspective dialectique, appliquée par exemple au rap pour comprendre comment les artistes naviguent à travers les complexités de l'identité et de l'exil. Bhabha évoque aussi la notion d'obscurité dans sa lecture de Fanon, une notion qui devient alors cruciale. Cette obscurité ne signifie pas une absence de clarté, mais plutôt la reconnaissance de la complexité, de l'ambigüité et de la multiplicité inhérentes à la construction identitaire. C'est précisément cette obscurité qui caractérise la pensée radicale dont parle Bhabha, une pensée qui refuse de se conformer aux schémas binaires et simplistes de l'opposition. Ainsi, et si on continue dans l'exemple du rap, nous pouvons percevoir une forme de résistance culturelle qui transcende les notions conventionnelles d'identité. C'est une résistance qui embrasse la complexité, qui défie les catégories préétablies et qui permet aux artistes de créer des récits profondément enracinés dans les réalités de l'exil et de la diaspora. Cette perspective dialectique, inspirée par Fanon et interprétée par Bhabha, nous invite à explorer les récits du rap sous un nouvel éclairage, en reconnaissant leur potentiel pour catalyser une pensée radicale et une révision profonde de la manière dont nous concevons l'identité.